Noces de papier, 2 ou 37 ans de mariage : les bonnets rouges et l'écotaxe.

Publié le 25 Novembre 2014

La chapelle de Laguivoa au clocher décapité en représailles après la Révolte du Papier Timbré - Photo Ackles29

La chapelle de Laguivoa au clocher décapité en représailles après la Révolte du Papier Timbré - Photo Ackles29

Je vous parlais l’autre fois de l’étymologie du nom de la région Bretagne. Nous allons passer un peu de temps là, pour comprendre un peu le mouvement dit des « Bonnets Rouges ».

Car tout cela est une sombre histoire de papier, qui remonte à tout un tas d’années en arrière. Prêts à remonter le temps ? Top ! Le curseur s’arrête en 1675, sous le règne de Louis, quatorzième du nom, roi de France et de Navarre, qui a eu cœur à mettre en ordre son Royaume et accessoirement à en repousser les limites. Sa dernière guerre remonte à… Non, en fait on est en plein dedans. Si la guerre de Dévolution (1667 – 1668, qui visait à récupérer des territoires espagnols sous prétexte que la reine Marie-Thérèse d’Autriche , n’avait pas eu de dot) avait été une quasi-promenade militaire, ce ne fut pas le cas du conflit qui commença en 1672, contre les Provinces Unies, ancien nom des Pays-Bas.

La puissante France ne pouvait guère tolérer que les « gueux de la mer » puissent rivaliser avec elle, et même la dépasser, sur le terrain du commerce. Pour Colbert, adepte du mercantilisme, les Hollandais étaient des empêcheurs de commercer en rond. Il faut dire que, privés de ressources naturelles, les habitants des Provinces-Unies, indépendantes depuis moins d’un siècle (après une longue révolte contre les Espagnols, qui détenaient la région comme héritage des Etats Bourguignons du Moyen-âge), avaient bâti leur fortune sur leur commerce.

Les marchands d’Amsterdam n’avaient rien à envier à ceux de Venise, à qui même ils avaient pris des parts de marché. Les flux autrefois centrés sur la Méditerranée s’étant, après la redécouverte de l’Amérique, orientés vers l’Ouest, et les Hollandais avaient su en capter une bonne partie. Du sel aux épices en passant par le sucre des tropiques ou les harengs, leurs flutes et galions transportaient tout. Même les Anglais avaient voulu montrer leur désapprobation, et la Hollande se trouvait donc en guerre alternativement contre les Anglais et les Français.

On a souvent comparé Amsterdam à Venise. C’est d’ailleurs une des « Venise du Nord », comme Copenhague, Bruges ou, plus tard, Saint-Pétersbourg (dont le fondateur, Pierre le Grand, avait visité incognito Amsterdam et en était revenu fasciné par les canaux). C’est dire que la mer et la terre s’entremêlent dans ce plat pays. Il était donc tentant de recourir à l’arme absolue pour faire déguerpir ces damnés Français. Les digues furent donc ouvertes, et la guerre s’éternisa. Il fallait donc trouver de nouvelles sources de financement, et on imagina donc (le pouvoir est toujours imaginatif pour trouver de nouvelles taxes) de taxer le papier pour les actes officiels. Ce que les Bretons, qui traversaient une période difficile, refusèrent. Ils se révoltèrent donc.

On parla donc de la révolte du papier timbré, qui dura plusieurs mois. Comme certains mécontents étaient coiffés d’un bonnet rouge, l’image est restée. Quant à la répression, elle fut dure. Ultime outrage pour les Bretons, certains de leurs clochers furent décapités. Les Bonnets rouges de 2013 se sont aussi battus contre une taxe. Les temps ont changé, on a voulu taxer non plus le papier, mais le transport.

Quelques mots quand même sur cette « éco-taxe » ou « contribution écologique » enfin, bref, tous les synonymes utilisés pour dire la même chose. C’est bien là l’archétype de la bonne idée mal appliquée, dans un pur esprit jacobin. Revenons un peu sur la situation. La France (comme la Suisse d’ailleurs) est placée de telle manière qu’elle voit passer beaucoup de flux de marchandises. Isthme entre l’Allemagne et l’Espagne, entre la Scandinavie et le Sud de l’Europe, entre le Royaume-Uni et l’Italie, elle est traversée par des milliers de camions. Car le camion a une souplesse d’utilisation sans pareille par rapport au train. Il peut aller où il veut, et pratiquement quand il veut. Pour rentabiliser un train, il vaut mieux qu’il soit complet, et que le produit transporté soit lourd. Bref, à notre époque de « juste à temps » c’est moyen.

 

Oui, sauf que le camion apporte des nuisances, bien connues. Alors, nos voisins européens ont pris le taureau par les cornes et ont instauré leur « éco-taxe ». Je pense à l’Allemagne et à la Suisse. Résultat pour la France : une recrudescence des camions sur les axes permettant d’éviter ces pays. Le cas d’école est l’A35 (dite « autoroute des cigognes », merci le cliché, mais ca vaut bien celle du pique prune, je vous laisse chercher) en Alsace, envahie de camions fuyant la « MAUT LKW », charmant acronyme désignant l’écotaxe allemande. Les élus alsaciens ont donc souhaité depuis des années expérimenter l’écotaxe dans la région. Une région pilote en quelque sorte.

 

Las, le gouvernement Sarkozy, dans la fièvre verte du Grenelle de l’Environnement, avait décidé de généraliser la mesure – sans test préalable – à tout le territoire, et à tous les poids lourds de plus de 3,5 T. On mesure là toute l’ineptie de la mesure : quel rapport entre l’Alsace, région frontière et de transit, qui voit ses routes envahies par les transporteurs, et la Bretagne, région péninsule où les seuls camions qui circulent sont justement ceux qui participent à l’activité économique de la région ?

 

Autre chose : par quoi remplacer les camions faisant entre 3,5 T et 12,5 T ? Par des camions plus gros ? Pour aller dans les villes, on a vu mieux. Des camionnettes ? Il en faudrait beaucoup ! Encore, la logistique du « dernier kilomètre », très « fine », peut être faite par des véhicules légers (je connais même des gens qui le font en triporteur) mais bon…

Les Allemands et les Suisses sont eux allés un peu plus loin dans la réflexion : ils ont taxé uniquement les véhicules de plus de 12,5 T. Ceux, en gros, qui parcourent de longues distances et ont ouvert (pour les Suisses en tout cas), des alternatives : les « routes roulantes » qui franchissent les Alpes à travers des tunnels, et composées de trains adaptés.

En France, il n’y a pour l‘instant des Autoroutes ferroviaires que dans les Alpes (par le Fréjus) et entre le Luxembourg et Perpignan (voir le lien ci-dessous sur le système français). Pas encore assez pour offrir une véritable alternative, mais justement, le produit de l’écotaxe devait financer de telles infrastructures de transport. Qui va en Allemagne le sait bien : leurs autoroutes sont toujours en chantier. Les Luxembourgeois doublent la capacité de leur terminal intermodal containers et remorques de camions. Quant aux Suisses, ils ouvrent dans quelques mois le plus long tunnel ferroviaire au monde : celui de base du Saint Gothard. 57 km, rien que çà. On va en perdre en paysage (la ligne actuelle est magnifique) mais on gagnera 1 h et on évitera de mettre une double traction pour gravir les rampes. Et en France ? Pour avoir voulu plaquer le même modèle partout, sans travailler en finesse et reconnaitre à chaque région et chaque mode de transport sa particularité et sa pertinence, on se retrouve bloqué. Dommage.

 

Ou comment une bonne idée peut liguer contre elle tous les mécontentements !

 

Le Papier n'est pas seulement administratif, rappelons-le...

Le système d'autoroutes ferroviaires Lohr.

Rédigé par Nicolas PERROT

Publié dans #Noces de Papier

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